Quand on roulait à moto sur la neige
Jean-Paul a ouvert la boîte à souvenirs… il a une mémoire d’éléphant, le bougre, et il me rappelle souvent des moments pourtant inoubliables mais déjà enfouis dans le temps !
Pendant ces jours de Noël 1970 à Carcassonne, nous avions pris quelques photos que j’avais gardées, et ou l’on nous voit nous éclatant avec toute l’énergie de nos 20 ans, sur la 125 Yamaha AT1 dans ce champ de neige fraîche…
Texte de Jean-Paul AUGE
Photographies de Jean-Paul Augé et Charles Camberoque
Il y a quelques jours, la télé nous montrait la France enneigée. Il parait qu’on n’en avait pas vu autant depuis 50 ans.
Sans remonter si loin (quoique…), ma mémoire conserve quelques souvenirs associant neige et moto, et n’allez pas vous étonner si Camberoque est dans le coup…
C’était fin 1970, à Carcassonne, pendant les vacances de Noel. Il ne neige pas tous les ans dans le coin, mais cette fois-là, le compte y était. La Cité et ses remparts sous la neige, ça vaut le coup d’oeil.
Ma Rallye était restée à Aix (où j’étais étudiant), et je ne pouvais compter que sur mon copain Camberoque pour cultiver la flamme motarde. Au début des vacances, le temps bien dégagé avait permis quelques ballades, ainsi qu’un peu de tout-terrain, car justement, à cette époque, la monture du Maître était une Yamaha 125 Trail AT1 .
Mais l’importance de la chute de neige qui venait de survenir me faisait penser que j’allais durablement rester coincé à la maison. C’était sans compter sur l’Artiste (du déclencheur), suffisamment enragé pour se dire qu’il ne devait pas y avoir si loin que ça du terrain boueux et glissant à la neige blanche et tout aussi glissante, et que ça valait au moins la peine d’essayer de voir si ça le faisait, au risque de quelques gamelles.
J’en étais donc à me résigner à l’ennui lorsque j’entendis la pétarade déjà familière de la Yamaha arrivant devant la maison. L’animal avait réussi à gravir la côte qui menait jusqu’à l’endroit où j’habitais, et arborait un sourire d’une oreille à l’autre : « C’est génial! ça glisse dans tous les sens, mais ça tient suffisamment… Viens essayer. »
Pas besoin de me le dire deux fois : le temps de sortir le casque (Altus), les lunettes (Climax), gants, écharpe, blouson, etc…, bref, de quoi affronter la froidure, et nous voilà partis. Je suis passager, et malgré l’excitation, je ne fais pas trop le malin, mais je me dis que si mon chauffeur a réussi à venir jusque chez moi sans se casser la figure, ça devrait bien se passer. En plus, l’allure semble modérée, et les petites embardées restent rares et limitées.
Ah! nous voilà sur un bout bien droit, et bien plat, et le moteur prend des tours. On était en seconde, nous voilà en troisième, puis en quatrième. Au passage de la cinquième, j’ai le temps de jeter un oeil au compteur : nous frisons le 80 km/h. Il est fou, c’est sûr…
Heureusement, la circulation est quasi-inexistante, mais le peu qu’il y a eu a bien damé la couche qui est bien régulière et pratiquement sans ornières. Tout au plus quelques traces un peu plus marquées que d’autres, font-elles un peu dévier la machine de son axe, et Camberoque ne semble pas avoir de difficulté particulière à compenser, d’un petit coup de guidon, sans même couper les gaz. Donc ça roule honorablement, et de toutes façons, l’allure diminue, jusqu’à l’arrêt : « Alors? Tu as vu? C’est dingue, non? J’aurais jamais cru que ça aille si bien, et même, c’est presque plus facile à deux. J’ai l’impression que le pneu arrière accroche mieux dans la neige… ».
Et ça repart : nous descendons maintenant la grande ligne droite qui mène vers le Pont Rouge où les parents de Camberoque ont leur maison, où nous arrivons en quelques minutes. Le temps de dire bonjour, et nous voilà reparti pour quelques essais dans le chemin : à moi le guidon. Et c’est vrai que finalement, ce n’est pas pire que de rouler sur du terrain gras. Loin de la patinoire redoutée, la neige encore assez fraîche donne assez d’accroche pour autoriser des freinages raisonnables, à condition d’anticiper et de faire tout doux sur les freins.
Une nouvelle démonstration du Maestro, sans doute le temps que je satisfasse son cabotinage légendaire en lui tirant le portrait, et nous repartons vers la ville (par la fameuse route Minervoise dont on vous a déjà parlé), mais en plus, avec l’intention de monter à la Cité, ce qui commence par une grande avenue bien rectiligne, en pente plutôt douce mais déjà sensible. Le roulement des voitures, plus fréquent sur cette avenue, a durci la neige, et le grip semble moins bon : le moteur prend de tours sans que la machine accélère. Mieux, une ornière a fait dévier la roue arrière, et Camberoque se contente de compenser au guidon, toujours sans même couper les gaz, cette fois-ci pour ne pas perdre de vitesse, car on n’est pas sûr d’arriver en haut. Et du coup, la Yamaha s’est calée dans un travers bien marqué, et poursuit son chemin comme si de rien n’était. Toute la ligne droite est avalée sans que la machine se remette dans l’axe. Décidément, la conduite sur la neige, ça marche.
A partir de ce moment-là, nous parcourons la ville et ses environs en tous sens, et nous sommes les seuls à rouler à moto sur cette neige. Mais ça n’a pas duré : le redoux finit par arriver et au lieu de geler, la neige se ramollit et commence à fondre. La fête est finie…
Mais ça nous fait un souvenir de plus, qui s’est gravé durablement dans un coin de notre mémoire, jusqu’à pouvoir le ressortir aujourd’hui pour vous en faire profiter…
Quelques jours plus tard, les vacances étant loin d’être finies, j’enfourcherai la Yamaha pour aller jusqu’à la station de ski des Angles (pas loin de Font Romeu), et rejoindre Camberoque qui y était parti avec d’autres copains. Ayant jugé la route assez praticable, il m’avait appelé pour me convaincre de venir aussi. Tu parles : jusqu’à Quillan, ça allait, c’était du goudron, mais la montée vers Formiguères, pleine de coins ombragés fut une épreuve digne de la concentration des Eléphants (la référence de l’époque en matière de pratique moto hivernale). Mais une fois arrivé, je crois qu’on s’est plus amusé avec la moto que sur les skis. Faudra qu’on pense à recommencer…
EPILOGUE
Quand j’ai écrit ces quelques lignes, j’étais à cent lieues de me souvenir de l’existence de ces photos. Et ça me fait un sacré effet de les revoir près de 40 ans plus tard.
Comme on le voit, on n’hésitait pas à gâcher de la pellicule, quitte à ce que ce soit en noir et blanc pour minimiser les frais (ah! les heures passées dans le noir à développer et tirer tout ça…). Aujourd’hui, le numérique fait qu’on n’a plus de raisons de ne pas tirer 200 photos à la minute. Alors, les jeunes, allez-y, et rendez-vous dans 40 ans pour nous raconter vos souvenirs… Justement ça tombe à pic, il vient de neiger.
Comment ça? vous n’êtes pas allé rouler sur la neige? Ah ça par exemple! Je le crois pas….