Cauchemar en Grand Prix
Cauchemar en Grand Prix
Photos, texte et cauchemar de Charles Camberoque
J’ai fait un rêve. Ou plutôt un cauchemar…
Cela se passait dans un futur indéterminé. J’étais confortablement assis dans la tribune d’un circuit, pendant une course de moto. Les machines tournaient et j’avais fini par m’assoupir devant le ronron et la monotonie de la course.
A un méandre de mon rêve, soudain Valentino apparut, rigolard comme à son habitude.
Mais surprise, il est le passager d’une moto ravi d’être assis sur le siège arrière bien accroché au pilote qui est Mike Hailwood lui même ! Ils disparaissent au bout de la ligne droite des stands… Mon rêve continue…
En ce temps là, bien que les compétitions de moto soient devenues un grand spectacle télévisuel, l’événement attirait encore quelques spectateurs, comme moi.
Mais ces courses étaient avant tout conçues pour êtres revendues en droits de diffusion aux différentes chaînes… qui pouvaient encore se les payer ! Et les TV de toute la planète en étaient friandes, vu les taux d’audience et les rentrées publicitaires que cela engendrait.
Depuis longtemps les moto clubs avaient abandonné l’organisation des courses à des Sociétés Privées qui s’en étaient saisies avidement, trouvant là un business très lucratif, puisqu’en peu de temps ces entreprises furent côtés en bourse.
Leurs actionnaires, des fonds de pension pour vieux américains, avaient très rapidement comprit que les courses de moto fonctionnaient comme des tragédies grecques, ou du théâtre, avec la célèbre règle d’unité de temps, d’unité de lieu et d’unité d’action.
Et puis donner du pain et des jeux au petit peuple faisait toujours recette depuis l’Empire Romain. Même de nos jours par télévision interposée !
Partant de là, il fut décidé que les courses deviendraient un spectacle comme un autre.
Cela eut comme conséquence que le directeur de course devint une espèce de metteur en scène doublé d’un réalisateur de télévision. Puisque cette représentation serait conçue avant tout pour des spectateurs qui suivraient l’action devant leur poste de TV.
Toutefois le public venait encore sur les circuits et représentait à raison de 80 à 100 000 entrées un bénéfice non négligeable à chaque Grand Prix.
Calculez vous-même, sur la base de 100 euros par spectateur…
Mais cela n’est pas le plus surprenant. Ce cauchemar me réservait plein de surprises…
Le directeur de course-réalisateur, avait écrit les rôles de chacun des acteurs-pilotes. Une douzaine de coureurs-comédiens était suffisante pour les besoins de chaque épisode.
De plus, les acteurs motocyclistes devaient suivre le scénario rigoureusement. A la course et également dans leur vie. Car on demandait aux pilotes de jouer un rôle précis en course comme dans leur quotidien où ils devaient absolument continuer à interpréter leur personnage.
Trois ou quatre acteurs pilotes jouaient les grands champions : Un champion sympathique et drôle, un champion désagréable et plutôt sinistre, un champion brillant très aimé par le public mais qui se mettait à perdre sur une moto qui ne marchait plus très bien et enfin un dernier petit champion, doué mais rachitique et qui se faisait souvent mal.
Il y avait ensuite quelques seconds rôles de perdants éternels qui finissaient toujours dans les derniers alors qu’ils étaient supposés très bon. L’un chutait presque à chaque course et râlait perpétuellement, l’autre un type sympa terminait régulièrement bon dernier, enfin un troisième à la réputation de sacripan cassait son moteur, ou crevait souvent un pneu…
Entre les champions et les perdants quelques motards-coureurs-figurants, tournaient laborieusement avec comme consigne de ne jamais aller se rapprocher de trop près des vedettes.
L’un de ces derniers, devait jouer le vieux pilote qui continuait à courir bravement malgré un age avancé. Cela plaisait beaucoup au public des pépères qui buvaient leur bibine en regardant les motos passer sur l’écran de leur télé.
Pour des questions de coût de la production, les catégories en course avaient été considérablement réduites ainsi que le nombre de participants et les machines qui étaient pratiquement les mêmes, fournies par un unique constructeur.
Tout à coup, je vois Stoner qui s’arrête sur le bord de la piste. Il est suivi par Jack Finlay qui a l’air furieux. Ils se poursuivent en courant sur les pelouses. Jack attrape Kasey et une bagarre sanglante éclate…
Comme souvent dans les rêves je ne sais ni pourquoi ni comment cela se termine…
Mon cauchemar continue.
Le réalisateur directeur de course qui maintenant portait le nom de capo, me confie à l’oreille que : » Trois ou quatre scénarios de course suffisent pour donner l’impression d’une certaine authenticité. De toute façon grâce à l’électronique et la transmission de données par radio, je fais gagner… qui je veux » !
Puis il ajoute : « De toute façon si la place de premier est prise par un pilote qui n’est pas des nôtres. On règle son compte sur le tapis vert et on finit toujours par faire gagner celui que nous avons décidé «
En vaine de confidences le capo me précise: « Dans les années à venir on installera quelque sniper qui depuis la tour de contrôle tireront sur les roues des pilotes qui ne respectent pas nos règles. Ce sera bon pour le spectacle »
Ce rêve est épouvantable. Je suis tout en sueur sur le point de me réveiller.
Il suffit d’augmenter ou de diminuer la puissance des moteurs pour coller au scénario de chaque course. D’autre part, tout cela peut être savamment modifié pour satisfaire le suspense de la saison de compétitions et la qualité du spectacle télévisé qui prime avant toute chose. C’est exactement comme un feuilleton !
Pour ce qui est de la retransmission télé, la réalisation des images et des commentaires sont eux aussi soigneusement prévus par une équipe de spécialistes, employés de la société privée des courses qui, elle, revend le tout aux chaînes du monde entier, prêt et bien ficelé pour la diffusion.
Sur place il est totalement interdit au public de prendre le moindre film ou la moindre photo. D’ailleurs à l’achat du billet d’entrée, un contrat est passé avec le spectateur qui doit s’engager à ne pas déroger à ce règlement.
La course était filmée avec des longues focales qui ont la particularité de tasser la perspective ce qui augmente l’impression de vitesse pour les spectateurs de ce grand moment de télévision.
Fesses et poitrine des Umbrella girl étaient filmées avec une attention toute particulière ainsi qu’un hypocrite et savant dosage qui laissait toujours le spectateur en haleine… et contribuait à faire monter la fièvre d’avant les départs.
Toujours pour les besoins de la TV et la dramatisation du spectacle, parfois, le réalisateur accélérait l’impression de la vitesse des motos en modifiant le défilement de la vidéo. Un très léger accéléré.
De toute façon le montage de toutes ces images prises par des dizaines de caméras suffisait à renforcer la dramaturgie et l’impression de vitesse. Quant aux commentateurs ils rivalisaient de qualificatifs pour faire monter la tension plus que donner de réelles informations.
De fait pour les spectateurs qui venaient occasionnellement voir « en vrai » une course il était surprenant de voir qu’il y avait peu de machines et qu’elles semblaient rouler bien moins vite qu’à la TV.
Sur ce, tout angoissé, je me réveillais de ce cauchemar idiot et … improbable, pour voir passer devant moi les pilotes qui venaient de finir la course.
L’un d’eux qui n’avait pas suivi les règles de la Société organisatrice. Un étranger. Il fut aussitôt déclassé.
Simoncelli arrive…!!! C’est a lui que s’adresse ce sportif spectateur ! Ce même jour une rumeur a couru sur le circuit, comme quoi les organisateurs lui avaient ordonné de se faire couper les cheveux !! Une autre rumeur disait qu’il avait reçu des menaces de mort !!!
Quelques temps après, ce spectateur qui faisait « courageusement » un doigt d’honneur à Simoncelli ne doit pas se sentir très fier après la mort de ce pilote !
Voir :
http://charlescamberoque.unblog.fr/2011/10/23/marco-simoncelli/
Comme au temps des gladiateurs certains compétiteurs étaient applaudis, mais d’autres hués avec à l’appui des gestes grossiers et des cris nationalistes qui frisaient le racisme. Ça c’est du sport !!!
Faire « un doigt d’honneur » remplaçait désormais le pouce levé, vieil emblème de Bultaco emprunté aux spectateurs des combats dans les arènes romaines.
Je ne rêvais pas. La course suivante allait partir…