La Terrot de Patrick Barrabes
La Terrot de Patrick Barrabes
Patrick Barrabes m’a envoyé un très beau texte où il évoque sa première moto : Une histoire de Terrot
Hé oui ! C’était une Terrot… Surprenant !
Car l’on sait que par la suite Patrick sera un grand fanatique et spécialiste des Motobécanes.
Patrick Barrabes a publié plusieurs livres sur ces machines et bientôt il va en sortir un de nouveau : « Motobécane, les quatre temps 1927/1984″. En librairie dès le mois de Mai.
Nous en reparlerons…
Motobécane, les quatre temps 1927/1984 : En librairie dès le mois de Mai.
Et spécialement pour Mickie, la même machine que ci dessus, côté gauche (voir commentaires).
Une histoire de Terrot !
Un texte de Patrick Barrabes
Printemps 1975. Depuis quelques jours, l’avion qui m’a ramené de l’Ile de la Réunion, ou l’armée m’avais habillé de vert pendant un an s’est posé sur le tarmac de Blagnac. Ces mois sous les cocotiers, fructueux pour l’apprentissage de la vie, m’ont pourtant privé de cet élément, inscrit dans mes gènes depuis trois générations, la pratique quotidienne de la moto. Bien sur, quelques occasions m’ont permis de « goûter au fruit défendu » sous la forme d’une Triumph T20, qui dormait au fond d’un hangar en compagnie d’une lignée de ses consoeurs, d’une freluquette 100 Yamaha et d’une bombe de l’époque, la Kawasaki H2, dont cinquante kilomètres et quelques particules de gomme seront échangés contre un réglage et une réparation sommaire.
Me voila donc revenu à la vie civile et à la liberté.
Dans mon garage, une bonne vieille Mobylette chaudron, une AV 89, m’attends fidèlement, prête à me conduire au boulot. A côté d’elle, une place est libre, seulement constellée de quelques taches d’huile, incrustées dans le ciment. La 125 Motobécane qui logeait là depuis 1972, une LT, a disparu, sacrifiée à l’aube de mon incorporation.
Que faire ? Le démon de la route me ronge, excité par la lecture des pages de Moto Revue: « concentrations et rassemblements ». Mes finances, elles, ne me permettent que de rêver devant une rutilante BMW R60/6, objet de tous mes désirs.
C’est là que le hasard frappe à ma porte, par l’intermédiaire d’un parent éloigné, instituteur gersois à la retraite.
« » Tu n’as pas de moto ? Si tu veux, je te donne ma 350 TERROT ! Quand j’ai acheté l’auto, je l’ai donnée à mon frère, à Prexan, prés de Carcassonne. Il l’a utilisée pendant des années pour monter à la vigne ! Elle ne doit plus être très fraîche, mais tu dois pouvoir la remettre en marche. Tu sais, avec cette moto, j’ai parcouru plus de cent mille kilomètres. Quand j’ai connu ma femme, elle habitait Audierne, en Bretagne et j’étais jeune instituteur dans le Gers, à L’isle Jourdain. Je partais le samedi, après l’école, et je traversais la France. Je revenais de nuit, le dimanche soir. Jamais elle ne m’a laissé en rade et pourtant, j’ai connu la pluie, la grêle … Nous n’étions pas bien équipés à cette époque. Un jour, un vieux m’a dit: Si tu attrape la pluie, ne t’arrête surtout pas ! Continue ! Plus loin il fera beau ! Je l’ai écouté, mais parfois, je prenais cinq cent, six cent kilomètres d’eau. Pourtant, il fallait bien poursuivre sa route. « »
Un dimanche matin, à bord d’une rutilante Renault 4 fourgonnette, empruntée à mon patron, me voici en route vers Carcassonne et la 350 Terrot. Depuis quelques nuits, les heures d’insomnie s’égrènent au rythme d’une foule d’interrogations: Dans quel état est elle ? Où vais-je trouver les pièces usées ? Un « gros » quatre temps, ça se mène comment ? …
Le démontage a commencé…
Prexan. Les effusions traditionnelles autour du verre de rouge, celui de la petite vigne, là haut sur la colline ! Pas celui qui s’en va à la coopérative. L’oncle René, casquette vissée sur un front brûlé par le soleil de notre midi et, aux lèvres, le parlé « rocailleux » des gens de la terre, me conduit enfin devant la porte du chai.
Les larges battants s’ouvrent sur une rangée de foudres, ces gigantesques tonneaux de chêne dans lesquels chaque année, se renouvelle le miracle de la vinification. Une odeur indéfinissable, ou l’on retrouve, mêlée au tanin, quelques senteurs chaudes, mélanges de cette « moisissure noble », issue de la terre de cave mélangée aux huiles et vieux caoutchoucs des tracteurs au repos.
Elle est là, appuyée contre un vieux tonneau.
Un rai de lumière, ou quelques moucherons se mêlent à des grains de poussière dans une danse désordonnée, se pose sur un phare dont l’optique, encore brillant, renvoie le soleil comme un message, comme pour dire :
Je suis là ! Je peux encore servir !
Une Terrot au pied de la citadelle cathare de Montségur.
Le reste de ce qui fut la dernière évolution de la 350 Terrot Latérale est bien triste, couvert d’un mélange de poussière et de cette terre de l’Aude, si dure au travail et lourde aux semelles. Les pneus sont à plat et une « couverture » tissée par les araignées relie le guidon à un vieux cageot, posé sur le porte bagage. Un bandeau en aluminium, sur les flancs du réservoir, indique le nom de la vieille dijonnaise.
Je la dégage doucement. Ce moment, que je vis pour la première fois, et que je revivrais souvent par la suite, est un instant privilégié. Quelques minutes ou le temps et le coeur s’emblent s’arrêter.
Des moments où l’on retient sa respiration, comme par respect envers ceux qui ont conçu ou utilisé cette moto. Des moments ou l’on se demande ce que l’on va découvrir, quelles « tranches de vie », se dissimulent là, dans les sacoches ou au fond de la boite à outils.
« » Alors, elle te plait ! « » La voix de l’oncle, presque brutalement, me ramène sur terre.
« » Si j’avais su que tu t’intéresses aux vieilles motos ! Il y a seulement un mois que j’ai dit aux gitans de venir chercher la ferraille. J’ai gardé la Terrot parce que c’était la plus propre mais ils ont pris la Magnat de 14 et la 500 Durandal. »" !!!
La Terrot de Patrick
La moto est maintenant au milieu de la cours, posée sur sa béquille. Un coup de chiffon déchire les toiles d’araignées. Sous la poussière, la HCT est finalement très saine. Bien sur, une peinture est nécessaire. Bien sur, les quelques chromes sont pelés et le moteur, sous la pression du pied, résonne de bruits inquiétants. Mais il n’est pas bloqué !
Moteur du même modèle que la Terrot de P Barrabes
Six mois plus tard, la moto revivait. Pour faire parler le gros latéral, il m’en a fallu de la patience.
Que de difficultés, pour trouver un maneton et des soupapes. Que de difficultés pour que la magnéto étincelle à nouveau. Cette restauration, peut on employer le terme de « restaurer » ou de « retaper » lors qu’il s’agit d’une première expérience, m’a beaucoup apporté. C’est cette moto qui m’a donné le « virus ».
Aujourd’hui nos chemins se sont séparés.
J’ai succombé aux charmes des sirènes de Pantin.
Pourtant, aucune autre moto ne remplacera cette Terrot dans mes souvenirs. Celui de ma première moto.
Patrick BARRABES
Mai 2005
Publié en 2005 dans le N°1 de Terrot Magnat, la revue du Terrot Club de France.