IMPRESSIONS LATINES: 24 heures de Montjuich 1977

IMPRESSIONS LATINES

24 heures de Montjuich 1977

 

Ma page consacrée à l’exposition du Musée de Barcelone (voir: Expo : Le circuit de Montjuïc.  ) sur les 24 heures de Montjuïc, a ravivé les souvenirs de Patrick Barrabès. Ils lui sont revenus en tête et lui ont inspiré ce très beau texte qui décrit la course comme rarement on le fait c’est à dire dans les marges de l’événement. Patrick a retrouvé également des photos qu’il avait prise cette année-là. Un témoignage passionnant et plein de vie.

                                                                                                                        C.C

Par Patrick Barrabès

 

Charles, Charles !

Impressionné, que dis-je … enchanté, par tes photos du Musée de Barcelone sur le thème des 24 heures

Colline mythique, montagne sacrée des aficionados du « campeonato de resistancia » virages de l’impossible ou tant de fois,  les petits deux temps espagnols, de rouge caparaçonnés, ont portés l’estocade aux grosses japonaises venues les défier  dans leurs propres arènes.

Musée de la Moto de BarcelonaL’affiche des 24 heures de Montjuïc 1977    (Montjuïc / Montjuich – Catalan / Castillan)

La 360 Bultaco victorieuse, visible au Musée de la Moto de Barcelone

Barcelona, que de souvenirs !!! La première fois que j’ai posé mes pneus sur la fameuse colline, c’était en 1976. La « Peña Motociclista de Barcelona » organisait pour la énième fois la ronde infernale. En espagnol, « peña » est synonyme de groupe, de club. Ce terme colle au plus près du corps à l’esprit de clan obligatoire pour faire vivre cette temporada toute à la gloire de ces motos dont le caractère s’apparente parfois à celui d’un taureau Miura.

1976. Toulouse, Carcassonne et Narbonne, la Junquera ou les panneaux publicitaires noirs … annoncent la couleur. 

IMPRESSIONS LATINES: 24 heures de Montjuich 1977 dans Circuits. toromoto

Le célèbre taureau, emblème du Brandy Veterano, qui ornait autrefois les routes espagnoles a aujourd’hui disparu.

Les motos sur la route du col d’Ares, un chemin détourné pour relier Toulouse à Barcelone

Barcelone et son port ou veille la Santa Maria. La plaza de toros , gueule ouverte vers le ciel comme pour hurler la clameur de la foule, ivre d’admiration envers l’homme en habit de lumière. Au fond, vers la colline, un semblant de ligne droite, havre horizontal avant le brusque contournement du palais de la reine Eugénie par une giclée de virages est constellé de taches de couleurs. Repsol et Unil, Bultaco ou Montesa, tout indique l’approche du circuit de Montjuïc. Le soleil, encore au zénith, frappe de toute la force de sa verticalité. Le drapeau du directeur de course ne s’abaissera qu’à vingt heures, comme le veut la tradition dans les pays latins. Il est  temps de rechercher une place pour planter la canadienne. Je vois que de nombreuses tentes fleurissent ça et là autour des bassins et des fontaines. Des camionnettes de livraison, des auto écoles locales manœuvrent au milieu de cette ligne droite, des cyclomoteurs s’entrecroisent avec des triporteurs Vespa, très courants en Espagne. Bref, tout indique que le circuit est encore « route ouverte ». Pourquoi ne pas le découvrir avec ma BMW encore chargée comme un baudet avec ses sacoches cavalières et son sac à paquetage militaire dominant le porte bagage.

 

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Place d’Espagne au bas de la colline de Montjuïc,  porte d’entrée du parc des coureurs.

Et me voilà remontant tranquillement  ce mont chargé d’histoire. En fond la cité de Gaudi dominée par les flèches de pierre de la Sagrada Famillia. Succession de virages serrés au travers desquels je me faufile, jonglant au milieu d’une circulation un peu anarchique.  Nous sommes ne l’oublions pas, au milieu des années soixante-dix, ces années de liberté ou chacun était maitre de ses actes, sans être « étouffé » par une surprotection permanente. Pourtant, je ne manque pas d’être surpris par la configuration de ce circuit.

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Au fond la place d’Espagne et le parc des coureurs vus depuis Montjuïc avec les camions qui longent la ligne droite des stands et de départ.

La piste entre dans le parc et contourne des monuments historiques.

Monuments historiques, candélabres de bronze, bâtiments de pierre dont l’architecture rigide rappelle l’inquisition ou jardins plantés d’essences méditerranéennes plongeant vers une verticale de la colline. Aucune échappatoire ! Sur ce tourniquet, gare à la chute ! Depuis 73 et l’accident de la Curva Grande à Monza ou Saarinen et Pasolini ont perdu la vie, la sécurité est prise en compte, parfois soulignée par une grève des pilotes, réclamant la suppression des obstacles naturels et la création de zones de dégagement. Ici, rien de tout ça. Montjuïc, au même titre que Brno, Opatidja ou l’Avus est un des derniers circuits routier. Il vit ses dernières heures mais je ne sais pas encore.

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 La partie du circuit tout en descente du côté du virage de la Font del Gat. A Montjuïc on tournait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Un staccato de moteur deux temps déchire la sérénité de ce début d’après-midi. C’est une 250 Montesa en plaque de course et bracelets. Elle plonge vers la descente qui conduit à la courte ligne droite des stands obligeant un triporteur à bloquer ses freins pour éviter la collision.  Je termine mon tour de piste, frôlé par une Kawasaki, et une Honda, peut être celle de Grau. J’apprendrais par la suite que ces motos effectuaient « leurs temps de qualification » afin de déterminer leur place sur la grille !!!

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Un BMW prise probablement vers le virage de la Pergola, dans la montée après la ligne droite des stands.

20 heures. La horde est lâchée pour vingt-quatre heures de folie. Les relais se succèdent  tandis que le soir tombe sur une piste légèrement embrumée par la fumée des échappements. Dans les stands, l’activité des mécaniciens bat son plein, alternant ravitaillement et réparations de fortune. Ici un embrayage, là une pédale de frein tordue après une glissade.

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La BMW Gus Kuhn de l’équipage Hohl et Gluck.

23 heures. La fatigue marque le visage des pilotes. Les relais se font plus courts. Au fond des stands, des carénages démontés attendent des jours meilleurs. La température ambiante les rends pénibles à supporter et ils n’apportant pas un avantage majeur sur une piste ou les vitesses atteintes dépassent rarement 150 km/ à l’heure. Une curieuse moto, Nessie, malgré son aspect lourdaud, tourne avec une régularité d’horloge. Préparée en Angleterre par Mead et Tomkinson autour d’un moteur Laverda, elle se singularise par une direction à biellettes tournant autour d’un moyeu à rotule de type Di Fazio.

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Sur la ligne droite des stands : Alain Barrau,  journaliste pour France Moto qui couvrait les 24 heures de Montjuïc.

Un pilote allemand, à son arrivée au stand, butte lourdement sur la planche tenue par un mécanicien. Il reste sur sa moto, les mais crispées sur les commandes comme tétanisé par l’effort fourni pendant son relais. Ce sont ses mécanos qui le « désolidarisent » de la selle sous le regard angoissé de sa compagne. Le flat twin rejoint la nuit aux mains du second pilote tandis que s’estompe le chant des deux mégaphones bientôt noyés par le sifflement rageur des pots de détente.

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La Honda Dholda belge de l’équipage Stinghlambert et Brytaert qui finiront 4 ème.

1 heure du matin. Au travers des jardins, je rejoins la série de virages qui plongent vers les stands. La fatigue ou l’abus de canettes San Miguel pour certains distillent leurs effets. Ici, pas de gradins. Le spectacle est dans la rue et les trottoirs … tribunes. Si la majorité des visiteurs, des passionnés, circulent pour ne rien perdre de la course, d’autres se reposent, assis sur les bordures de trottoirs ou profondément endormis, les jambes allongées sur la piste.

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La BMW Gus Khun de l’équipage Hohl et Gluck sur la piste certainement dans la montée vers la courbe de San Jordin la plus rapide.

Nous sommes dans un extérieur de virage et les motos passent sur l’angle à quelques centimètres. Inouï !  Au matin, je verrai dans le même virage une Bultaco partir en glissade pendant que les spectateurs s’égaillent comme une volée de moineaux. L’image est faible, en rapport de la gravité qu’aurais pu prendre cette chute. Evacuation ! Mesures de sécurité ! Non. Arrivée de deux guardias civils qui font reculer la foule d’un mètre, pose d’un panneau « Zona de Peligro » (zone de danger)  qui sur son lourd support en fonte crée un nouvel obstacle.

 

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Splendide photo d’un relais de la Honda de Jacques Luc et Benjamin Grau (qu’on appelait simplement Min ). Ils termineront troisième.

Quelques heures de repos avec le chuintement d’une fontaine sur fond de « méga majeurs » Nos motos sont là. Quelques tentes ont été ouvertes au rasoir. Les nôtres non, ouf ! Espagne, Espagne !!!

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Christian Huguet attend son coéquipier pour prendre un relais.

La BMW de Cowie Tolleman qui finiront 7eme.

Un Honda anglaise,  celle de Stan Woods.

Lever du jour. Les gueules sont blêmes. La chaleur de la nuit Catalane a eu raison des plus vaillants. Seuls quelques afficionados sont là, à l’affut du tableau de classements.  Christian Huguet est en tête, avec son casque orné de bandes noires et blanches. Ce gars est vraiment très sympa. Un pilote comme je les aime, simple, accessible, un pilote de l’époque ou le continental circus c’était avant les mobil home et le fric mais avec un fourgon tirant une remorque remplie de pièces et d’amitié. Quelques années plus tôt, j’étais bidasse à l’autre bout du monde. Un peu de blues, le mal du pays, l’absence de moto ressentie comme un manque et quelques lettres lancées comme une bouée de sauvetage vers des boites aux lettres de pilotes. J’ai toujours aujourd’hui, comme en souvenir d’une  bouffée d’oxygène la lettre et la photo dédicacée, envoyée par Christian Huguet.

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De nuit : la Gus Kuhn en pleine vitesse à la fin de la ligne droite des stand… ou dans celle du Stade dans le haut du circuit.

 

Une horchata de chuffa pour seul déjeuner.  Les stands sont clairsemés avec les abandons de la nuit. Il est huit heures et nous ne sommes qu’a la mi-course. Au Bol d’Or ou à Spa, le petit matin sent l’écurie. Tenir jusqu’au milieu de l’après-midi, ménager la mécanique et ça passe. Ici, il reste douze heure ou tout peux se passer. Justement ! Une sirène d’ambulance, pas le ping-pong presque rassurant des secours de chez nous, mais un hurlement de sirène qui nous rapproche des scènes de thrillers américains nous écorche le tympan. Un pilote a chuté, percutant un chien qui errait sur la piste. Une grosse frayeur pour le pilote mais une longue trace sanglante va maculer la piste sur le passage de l’animal.

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La Moto Guzzi 850 Le Mans avec ses deux pilotes dont Morante. Ils finiront 14 ème.

Midi. Les pannes se succèdent. Un soleil au zénith surchauffe les mécaniques.    Un pilote, au bord de l’évanouissement, arrive aux stands. Il vient de pousser sa moto sur près d’un kilomètre. Sur la piste, les panneaux « zona de péligro » se sont multipliés. La course perd de son intensité, en connivence avec les spectateurs qui vont rejoindre les terrasses de café. L’Espagne vit au ralentis à l’heure du repas et ce n’est qu’a seize heures, que vont réapparaitre les barcelonais. Catalanes endimanchées, familles nombreuses et colorées vont se mêler au monde de la moto traditionnel. C’est la fête, la sortie du dimanche pour assister, au centre de la cité à la corrida qu’est une course de moto dans un pays latin.

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Un trio de BMW probablement dans La Pergola et la contre Pergola.

20 heures. Le drapeau à damier vient de s’abaisser, comme pour la saluer, devant la Honda de Christian Huguet et du finlandais Penti Korhonen. La ronde s’achève. Le ballet des tri-Vespas reprend immédiatement tandis que les dépanneuses récupèrent  épaves et motos en panne abandonnées au bord de la piste. Les ouvriers s’activent au démontage des stands. Demain, quand seront effacées les traces de ce qui fut une des plus belles courses du monde, la plus belle pour moi, la vie reprendra son cours autour des palais de la belle Eugénie.

 

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Au chapitre des bons souvenirs, j’étais revenu à Montjuich en 78 avec pour moi un premier accès « presse » pour La Dépêche du Midi.

J’en avais rapporté un article, qui fut publié et mis en page comme un petit pavé bien caché entre deux match de foot sur une page du canard toulousain bien connu, mais aussi, une bouteille de vin que bizarrement j’ai toujours conservée.

Aujourd’hui, ce petit vin de table a du largement tourner au vinaigre, mais son parfum reste, celui d’une époque de liberté ou le futur était encore chargé d’espoir.

 

 

Patrick BARRABES septembre 2013

 


2 commentaires

  1. Alain Morand dit :

    Superbe article Charles qui me remplit d’émotion lorsque tu évoques Christian Huguet.
    Un bel hommage que je partage sur la page facebook que je lui dédie et où si tu le souhaites, je t’invite à nous rejoindre en compagnie de sa famille, ses proches, ses amis (dont Pentti, Roger, Guigna, Fernandez et tant d’autres …) et ses fans dont je suis depuis mon plus jeune âge (8 ans environ … j’en ai 54 aujourd’hui !)
    Je suis allé tout récemment à Barcelone et bien sûr parcouru le circuit de Montjuïc et me suis arrêté devant la stèle qui reprend l’ensemble des vainqueurs de cette course, pour moi mythique.

    Amicalement avec tous mes remerciements pour cette lecture savoureuse de ces 24 heures remportées par Pentti & Christian.

    https://www.facebook.com/groups/499624640073826/

  2. Ganne Christian dit :

    Bravo pour vos formidables articles qui sont très souvent insolites et originaux et qui témoignent d’une grande ouverture d’esprit.

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